Caro répond à de nombreuses autres questions dans Faille Temporelle 10.

FT : Vous avez débuté dans Métal Hurlant. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque?

Caro : Je ne me rendais pas souvent dans les locaux de Métal Hurlant. J’allais y apporter mes planches. Ce sont eux qui m’ont vraiment fait débuter. J’aimais beaucoup la revue. J’étais un fan. Alors, voir mes premiers dessins, mes premières histoires publiés dans Métal, pour moi, c’était comme un rêve devenu réalité.

FT : Vos premiers récits étaient très noirs, pessimistes à souhait, presque méchants. C’était un choix?

Caro : C’était en 76/77. J’étais en pleine période Punk. Ça traduisait les préoccupations du moment.

FT : On retrouve cette même ambiance froide et glauque dans votre premier court métrage : Le Bunker De La Dernière Rafale.

Caro :Ça participait du même mouvement, en plus expressionniste.

FT : Ce court métrage marque votre première collaboration avec Jean-Pierre Jeunet?

Caro : Non, nous avions déjà travaillé ensemble sur ses deux films d’animation. J’avais réalisé ses marionnettes. On s’était rencontré quelques années plus tôt. Avec un ami, je faisais une revue sur le dessin animé qui s’appelait Fantasmagorie et j’étais parti la vendre au festival du film d’animation d’Annecy. C’est là-bas que nous nous sommes rencontrés, on a sympathisé... Jean-Pierre est venu travailler dans l’animation à Paris, on s’est revu, on s’est dit : “On fera des films ensemble!” et effectivement, nous l’avons fait.

FT : De 81 à 91 vous réalisez quelques courts métrages, quelques clips, vous continuez à collaborer à Métal Hurlant, pour Les Humanoïdes Associés et, en 91 sort Délicatessen qui fait exploser le paysage cinématographi-que français.

Caro : En fait, après Le Bunker De La Dernière Rafale, on a écrit La Cité Des Enfants Perdus. On a essayé de le monter, mais on était trop jeunes et on n’avait pas assez de crédit. Personne ne nous a fait confiance. Donc, on a écrit un autre script qui est resté dans les tiroirs et enfin, on a écrit Délicatessen qu’on a réussi à monter grâce à Claudie Ossard.

FT : Pour ce film, vous faites appel à des comédiens très typés. A ce qu’on pourrait appeler, sans être péjoratif, des gueules. C’est un retour à un cinéma qu’on n’avait pas eu l’occasion de voir depuis bien longtemps.

Caro : C’est revendiqué. C’est une référence au cinéma d’avant-guerre, aux films de Carné, Prévert... avec toute cette catégorie d’acteurs qui nous ont fait rêver, Jean-Pierre et moi, quand on était mômes. Mais, c’est aussi en référence au cinéma des années cinquante avec Francis Blanche et les autres... On s’est dirigé vers un cinéma qui fait énormément référence à l’imaginaire visuel. On est donc presque obligé d’avoir ce type de personnages dans nos films. C’est un tout. Tout est stylisé, même les personnages. Mais on les a surtout choisis parce que ce sont d’excellents comédiens. On imagine un personnage et ensuite, on essaye de trouver l’acteur qui peut le mieux l’incarner.

FT : Comment ce passe cette collaboration avec Jeunet, au niveau du visuel, de l’écriture, du découpage... Com-ment vous partagez-vous les tâches?

Caro : En gros, comme c’est inscrit au générique, Jean-Pierre s’occupe plus de la mise en scène dans le sens traditionnel du terme, direc-tion des acteurs etc... et moi de la direction artistique. Après, dans le quotidien du tournage d’un film ou de sa préparation, c’est beaucoup plus mélangé, évidemment. On écrit ensemble, on tourne ensemble, on fait le montage ensemble. Suivant les spécificités de chacun, à certains moment, on se dirige naturellement vers ce dont on est le plus proche. Il existe une vraie complicité entre nous. On fait ça un peu comme quand la Pieuvre fait la cuisine dans La Cité Des Enfants Perdus.

FT : Vous avez fait la conception graphique du Vibroboy de Jan Kounen. Comment a-t-il décidé de faire appel à vous?

Caro : J’avais rencontré Carlo de Boutiny et Jan à l’époque de leur précédent court métrage : Gisèle Kérozène. Il vient, lui aussi, de l’animation. On a sympathisé. Quand il m’a demandé, j’ai accepté tout naturellement.

FT : Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage?

Caro : Je ne me suis pas beaucoup rendu sur le tournage. J’ai fait les dessins du personnage et quelques petites sculptures animées dont celle de la statuette et du godemiché.

FT : Par contre, vous vous êtes davantage impliqué dans son dernier court métrage : Le Dernier Chaperon Rouge puisque vous avez créé le monstre que vous interprétez également.

Caro : Il a été malin. On s’était vraiment bien entendu, et puis moi je l’adore, Jan. Il peut me demander ce qu’il veut... Il m’a demandé de dessiner la créature et, une fois que je l’ai fait, il m’a demandé : “Tu ne veux pas le jouer?” et j’ai dit : “oui!” Je ne pouvais pas imposer ça à quelqu’un d’autre parce qu’avoir du caoutchouc sur la tête ce n’est vraiment pas terrible. Mais j’aime bien cette créature.

FT : Entre temps, il y a eu La Cité Des Enfants Perdus. Est-ce que ça a été plus difficile à mettre en chantier que Délicatessen?

Caro : Oui. C’est un projet beaucoup plus ambitieux que Délicatessen. Au niveau financier, au niveau de l’équipe, des effets spéciaux, c’était un film beaucoup plus compliqué. On a tourné avec tout ce qu’il ne faut pas : les enfants, les animaux, les effets spéciaux...

FT : L’apport des effets spéciaux, des images de synthèse, du morphing... c’est pensé dès l’écriture? Le film ayant été écrit avant Délicatessen, ce genre de technique était plus difficile à mettre en oeuvre à l’époque.

Caro :Ça n’aurait pas été pareil. Ça aurait été réalisé avec les techniques de l’époque. Ça aurait sans doute eu un côté plus Méliès. Au départ, on écrit notre histoire et les effets spéciaux se rajoutent pour concrétiser l’univers qu’on a envie de créer. Ce ne sont que des outils, des vecteurs pour faire exister notre imaginaire.

FT : Dans votre travail, on retrouve souvent un mélange entre la chair et le métal : les prothèses mécaniques du Bunker De La Dernière Rafale, les excroissances visuelles des cyclopes dans La Cité Des Enfants Perdus, le personnage de Vibroboy, le monstre du Dernier Chaperon Rouge... Vous sentez-vous des affinités avec des gens comme David Cronenberg ou Shynia Tsukamoto?

Caro : Tsukamoto, je le connais un peu. Cronenberg, je ne le connais pas, mais j’adore Vidéodrome. Je crois que le mélange homme/machine existe depuis très longtemps. C’est vrai que je suis fasciné par les robots. C’est un classique de la science fiction depuis Métropolis.

FT : Que pensez-vous du cinéma français aujourd’hui?

Caro : Je fais un type de cinéma pour montrer ce que j’ai envie de voir. Je trouve dommage qu’on veuille qu’il n’y ait qu’une seule sorte de cinéma. Il est fondamental que coexistent différents types de films.

FT : Justement, ce n’est pas en train de bouger un peu tout ça?

Caro : Je l’espère.

FT : On s’en rend compte depuis quelques temps avec des gens comme Luc Besson, Christophe Gans, Jan Kounen, Jean-Pierre Jeunet et vous. D’ailleurs toutes ces personnes ont en commun une culture BD très importante. Vous pensez que ça joue sur l’aspect de leurs films?

Caro : C’est évident. Quand la source d’inspiration est uniquement littéraire, on s’intéresse beaucoup moins à l’image alors que, quand on vient de la bande dessinée, du dessin animé, l’aspect visuel se ressent dans ce qu’on fait.

FT : L’aspect visuel est-il plus important que l’aspect narratif?

Caro : Pas du tout. Les deux sont aussi importants l’un que l’autre, mais il est vrai qu’ici, on a tendance à penser qu’à partir du moment où l’on s’intéresse à l’image, ce qu’on raconte est soit niais, soit débile. Alors qu’aux débuts du cinéma, si on prend pour exemple des gens comme Eisenstein ou Fritz Lang, le côté pictural faisait partie intégrante de la narration.

FT : Ces deux univers, la BD et le cinéma, qui sont tout de même assez proches l’un de l’autre, pensez-vous qu’ils vont finir par en engendrer un troisième?

Caro : Tout ça est en train de ce mixer vers quelque chose, mais je ne sais pas trop quoi, parce que je ne suis pas devin. Mais, la BD, un certain cinéma, les jeux vidéos... tous ces médias qui sont créateurs d’univers sont en train de se recouper. On va vers un truc dans lequel tu vas pouvoir te balader. Aujourd’hui, ce qui est intéressant, c’est qu’une fois que tu as créé un univers, tu peux le développer sur pleins de supports différents. Quand tu fais un film, par exemple, tu es un peu frustré parce que tu as imaginé un univers, mais tu n’en montre qu’un petit bout. C’est pour ça que j’ai été intéressé par le jeu de La Cité Des Enfants Perdus. Tu pouvais te promener dans la ville, en découvrir tous les recoins. Dans un film, tu es spectateur alors qu’avec ce type de média, tu deviens acteur.

FT : Vous participez au nouveau projet de Christophe Gans : Nemo. Que pouvez-vous nous en dire?

Caro : Je ne vais pas pouvoir en dire grand chose. Comme c’est encore en chantier, la production ne tient pas à ce qu’on en parle trop. J’ai assez d’affinités avec Christophe et avec Jules Verne pour y participer. Dans l’équipe, on retrouve Jean Rabasse le décorateur de La Cité Des Enfants Perdus, Olivier Vatine, Mathieu Lauffray. Philippe Druillet est également venu faire quelques dessins.

FT : Jeunet est en train de mettre la dernière touche à Alien Resurection. Vous auriez aimé participé au projet?

Caro : Jean-Pierre me l’a proposé, mais le problème avec Alien, c’est que pratiquement tout existe déjà. Alors, bien sûr, il y a toujours moyen de créer quelques nouveaux trucs. J’aurais bien aimé faire le monstre, mais on m’a dit : “Non! Ça, on l’a déjà!”

Propos recueillis par Franck Debernardi.

<< Faille Temporelle 10