Même s’il est vrai que la bande dessinée s’est largement inspirée du cinéma et continue à le faire, il ne faut pas négliger le fait que bon nombre de réalisateurs puisent eux mêmes dans le petit monde de la BD. Hormis les adaptations cinématographiques en live de bandes dessinées bien connues (Tintin, Lucky Luke, Gros Dégueulasse, Le Déclic et toute une ribambelle de super-héros en costume : Superman, Batman, Spiderman, Punisher et bientôt Spawn), le fait de faire appel à un dessinateur réputé pour créer des costumes, des décors ou le design d’un monde imaginaire (avec tout ce que cela implique : créatures, villes, engins mécaniques...) devient de plus en plus monnaie courante. Les Etats-Unis qui, selon un vieux cliché bien établi, aurait toujours 20 ans d’avance sur notre petit hexagone, se sont rendu bien vite compte du potentiel créatif des artistes BD, Spielberg et Lucas en tête. Il est d’ailleurs fort à parier que si Métal Hurlant n’avait jamais vu le jour, Star Wars ou Rencontres Du 3ème Type auraient eu un aspect bien différent. Aujourd’hui, quelques vingt années plus tard (le vieux cliché précédemment cité y serait-il pour quelque chose?) le cinéma Européen en général et le cinéma Français en particulier, se penchent avec plus de sérieux sur ce neuvième art qu’une majorité (soi-disant) intellectuelle s’évertue à nous faire passer pour de la sous-culture.

 

 

Moebius est l’un des premiers à avoir ouvert la marche. Suite à ses travaux préparatoires sur le Dune de Jodorowsky, Ridley Scott fait appel à lui pour réaliser quelques croquis de costumes qui serviront au premier huit-clos de science-fiction horrifique : Alien. Egalement servi par une créature et des décors cauchemardesques du peintre Suisse Giger, le film de Scott fera tâche d’encre et la science-fiction internationale s’arrachera les services de Jean “Moebius” Giraud. Après le Tron de Disney, il collabore à un grand nombre de projets fantastiques parmi lesquels : Les Maîtres De L’Univers, Abyss et tout récemment, Le Cinquième Elément. En France, on est plus frileux et les projets visuellement spectaculaires sont bien plus compliqués à mettre en oeuvre. C’est Alain Resnais et Jean-Jacques Annaud qui donneront l’exemple. Le premier demandera à Bilal (pas encore réalisateur) de créer les décors et certains costumes de La Vie Est Un Roman avant de contacter Nicollet pour travailler sur Mélo. Le second fera travailler ces deux anciens comparses de Métal Hurlant sur son polar médiéval (Le Nom De La Rose) ainsi que Druillet qui avait déjà réalisé l’affiche de La Guerre Du Feu. L’univers froid et particulier de Bilal le feront également travailler avec les américains. C’est Michael Mann (Le Sixième Sens, Heat), grand fan de La Foire Aux Immortels et du portfolio Die Mauer (Le Mur) qui lui commandera un visuel pour Molasar, la créature de son film La Forteresse Noire avec Jürgen Prochnow, Scott Glenn et Gabriel Byrne. Par la suite, l’auteur de La Femme Piège mettra à profit ces expériences pour prendre lui même la caméra. Philippe Druillet est également attiré par les personnages de chair et d’os évoluant dans son univers. C’est ainsi qu’il collabore à l’adaptation de sa propre BD La Nuit. Puis il prendra la caméra afin de réaliser un clip pour son ami William Sheller. C’est de là que naîtront La Bataille De Salambô (projeté pendant un an à la Géode) et les projets Lone Sloane et Excalibur (une série TV dont le pilote a été projeté à Angoulême en début d’année). L’équipe de Métal Hurlant ne serait pas au complet si l’on ne citait Renard et Schuiten dont les architectures hallucinantes ont convaincues Just Jaeckin pour son adaptation de Gwendoline. Schuiten collaborera plus tard au film expérimental de Raoul Servais : Taxandria. Aujourd’hui, une nouvelle génération de réalisateurs, nourris à la bande dessinée, s’attaquent au marché international avec des films dans lesquels le côté pictural est aussi important que l’histoire. Luc Besson a donc fait appel à Moebius et à Mézières pour son 5ème Elément, mais également à Patrice Garcia (Allande chez Zenda et Les Fils De La Nuit chez Soleil), à Olivier Vatine et à Fred Blanchard (ces deux derniers n’étant pas crédités au générique). Christophe Gans, ex-rédacteur en chef de Starfix et grand lecteur de BD a demandé à Thierry Ségur (Légende Des Contrées Oubliées chez Delcourt) de faire le storyboard de Crying Freeman. Caro, Vatine et Druillet planchent sur son deuxième long métrage (Némo) et il rêve d’adapter Ranxerox (la BD frapadingue de Liberatore) pour le cinéma. Caro (dessinateur à Métal Hurlant, lui aussi ! Va falloir que ça cesse !), qui s’occupe généralement de la direction artistique de ses films, a demandé à Vatine de l’aider sur son nouveau projet (sans Jeunet) et Jan Kounen, qui demande régulièrement quelques crobards à Caro, s’est adjoint les talents de Stan et Vince (Vortex chez Delcourt) pour les visuels du Dobermann de son générique en images de synthèse et de son nouveau projet de SF : Speedyboy.

Quand on énonce tous ces noms, on se croirait en pleine réunion de famille. Et si le cinéma et la bande dessinée ont, chacun de leur côté, de beaux jours devant eux, c’est bien à la création d’une nouvelle famille à laquelle nous assistons actuellement et ces quelques personnes, dont le métier est avant tout celui de l’image (qu’elle soit filmée ou dessinée), forment un petit noyau dont les proportions s’élargissent de jour en jour. L’avenir graphique du cinéma mondial est en train de changer et il est clair que cet avenir nous réserve d’excellentes surprises.

Foed

 
 
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