Nous avons posé la question à des cinéastes et à des auteurs de BD. Voici ce qu'ils en pensent.

CARO (dessinateur, co-réalisateur de Délicatessen et de La Cité Des Enfants Perdus)
Quand je faisais des bandes dessinées, ce qui me manquait, c’était le son et le mouvement. C’est ce que m’a apporté le cinéma. Ça m’a également permis de jouer avec des êtres vivants. Il y a un moment où tout ce qu’on a dans son esprit est extériorisé et ça vous dépasse. Quand vous avez l’idée d’un boucher, d’un clown, d’un géant ou d’une petite fille et que vous les voyez vivre devant votre caméra, c’est un truc que ne peut pas apporter la BD. Une bande dessinée, un story-board, ce n’est pas si éloigné que ça. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’on puisse développer la même idée sur des supports différents. Je trouve autant de plaisir à aller voir un film que de découvrir une nouvelle Bande dessinée, écouter un disque ou jouer avec un CD-ROM. Il faut qu’il y ait de la diversité. L’un ne remplacera pas l’autre.

VATINE (dessinateur d’Aquablue)
Peut-être est-ce la bande dessinée qui est l’avenir du cinéma? Je ne sais pas... Je crois qu’on a affaire à des phénomènes cycliques dans lesquels les choses se nourrissent mutuellement. La BD a beaucoup à apprendre du cinéma. Quand on voit les bouquins qui sortent aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, on se rend compte que les trois-quarts des dessinateurs, contrairement aux mangakas qui utilisent les techniques de l’animation, n’ont pas de grammaire visuelle. Ils ne savent pas ce qu’est un champ/contre-champ, ils changent d’axe sans arrêt... A l’arrivée, ça perturbe la lecture. Pour arriver à faire de la mise en scène en BD, il faut potasser des livres sur le cinéma : ceux d’Eisenstein ou les entretiens de Truffaut avec Hitchcock sont de bonnes bases pour commencer... Et puis le cinéma puise également dans la bande dessinée : Superman, Batman, The Crow, Men In Black, Spawn et bientôt Astérix (rires)... Quand on voit Star Wars et qu’on connaît la manière de bosser des studios de pré-production, on ne peut pas douter du fait qu’ils travaillaient avec les BD de Mézières et de Moebius à portée de main. Le cinéma et la bande dessinée ne sont pas des média très éloignés. Dans les deux cas, il s’agit de raconter des histoires en images avec des dialogues. Maintenant, il y a une sorte de pont naturel qui s’est créé entre les deux, c’est l’animation 3D.

 

JAN KOUNEN (réalisateur de Vibroboy et Dobermann)
C’est une drôle de question. C’est un peu comme si, au début du siècle, on avait demandé aux gens de théâtre si le cinéma était l’avenir du théâtre. La réponse est non, mais en tout cas, ça l’a été pour moi. Je suis entré aux arts-déco pour faire de la bande dessinée et j’y ai trouvé un moyen plus performant pour raconter des histoires en images. Le cinéma est un média plus performant, dans le sens où on accède au mouvement, au son et à un public plus conséquent, mais c’est aussi un média plus contraignant. Dans la bande dessinée, on a une liberté quasi-totale. Au cinéma, on est obligé de limiter son imagination pour des raisons industrielles. On peut convaincre un éditeur en lui montrant quelques planches, on ne peut pas convaincre un producteur en lui montrant la moitié d’un film. L’investissement financier est trop important. Je pense qu’on ne peut pas comparer ces deux média. Il y a des histoires adaptées au court métrage, des histoires adaptées au long métrage, des histoires adaptées au cinéma expérimental, des histoires adaptées à la bande dessinée, au roman, au texte illustré, au jeu... Chaque histoire peut également permettre un développement dans des branches différentes. Il y a un lien qui existe entre le cinéma et la bande dessinée. On s’en rend compte en voyant les films de Terry Gilliam, de Caro et Jeunet, ou de Tim Burton. Ce sont des films “d’univers BD”. Quand je faisais des courts métrages, je voyais souvent des dessinateurs qui me montraient leurs planches de BD, actuellement, je vois de plus en plus de jeunes venir me présenter des illustrations, des dessins de préparations, des dessins de design sous forme de croquis/costumes, croquis/décors. En leur posant la question, je me suis rendu compte qu’ils ne voulaient pas faire de la bande dessinée, mais travailler pour le cinéma. C’est vrai qu’Il me semble qu’aujourd’hui, il y a plus de débouchés dans le cinéma que dans la bande dessinée.

CAZA (dessinateur d’Arkadi, concep-teur de Gandahar)
Pour répondre à cette question, j’utiliserai un terme japonais : Mu. Ça ne signifie, ni oui, ni non, mais, en quelque sorte : “je n’ai pas les éléments en main pour répondre.”

ANGE (scénaristes de Reflets D’Écu-me, Bloodline, Némésis, La Geste Des Chevaliers Dragons)
Non!

DRUILLET (dessinateur de Vuzz, La Nuit, Salambô, réalisateur du clip de William Sheller : Excalibur)
C’est une question vaste. Parce qu’au delà des projets de chacun, il y a ce qu’on voit et qui est brûlant d’actualité, à savoir, la crise qui continue dans le monde de la BD et notamment dans les maisons d’éditions. Il y a moins d’albums qui sortent qu’auparavant. Il y a moins de liberté de création puisqu’on engage plus que des gens qui sont plus ou moins déjà chevronnés et, d’une façon instinctive et naturelle, beaucoup de jeunes attirés par le graphisme vont à la fois vers les nouvelles technologies et s’embouteillent sur la BD. Quand je parle de nouvelles technologies, je veux bien évidemment parler des images de synthèse, mais également du cinéma. Il y a un grand nombre de personnes venues de la bande dessinée qui se tournent vers le cinéma. Ça me semble être une suite logique. Mais je ne crois pas que l’un détruise l’autre. On aura toujours besoin de la texture du crayon sur le papier ou de la peinture sur une toile. Mais je souhaite que le cinéma évolue intelligemment vers une génération de metteurs en scène français comme Bilal, Gans, Caro, Jeunet et d’autres. Il semblerait que les nouvelles technologies liées au cinéma permettent aux graphistes des horizons nouveaux. Ça, j’y crois. En France il y a toujours une forme de coquetterie, de chinoiserie mondaine par rapport à la presse et aux média qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Quand on voit comment Dobermann a été accueilli, on meurt de rire. Il est évident que les gens qui ont fait Dobermann ne sont pas ceux qui ont aimé les Cahiers du Cinéma, Godard ou Truffaut. C’est clairement dit dans le film. Même les gens de ma génération se sont très tôt battus contre ça. Je n’avais rien contre Godard, mais on m’imposait ce cinéma et quand je parlais de science fiction et de bandes dessinées, on me prenait pour un con. Et bien il se trouve qu’aujourd’hui on voit apparaître une génération qui s’exprime à travers un cinéma né de la bande dessinée pour montrer qu’il n’y a pas qu’un cinéma intimiste, intellectuel ou bourgeois en France. Je pense qu’il est bien qu’il y ait ce combat, jamais une école ne s’installe sans qu’il y ait de bagarre. Effectivement, si les producteurs se réveillent et comprennent qu’il y a un réservoir de graphistes, de réalisateurs et de gens imprégnés d’images qui ont des choses à dire dans ce pays, je crois qu’on peut aller très loin. S’ils ne le comprennent pas, ça va être réservé à une ou deux personnes. Sans aucune méchanceté, quand on sait comment fonctionne l’industrie du cinéma et l’intelligentsia, on peut se poser la question d’une façon naïve : “N’y aura-t-il plus, maintenant, étant donné le succès de son dernier film, qu’un homme en France qui aura le droit de faire de la science fiction, Monsieur Besson?” Pour en revenir au point de départ, je pense que le cinéma n’est peut-être pas l’avenir de la bande dessinée, mais en tout cas une nouvelle forme de création et de débouché importante pour tous ces gens qui ont des univers et qui veulent les développer à travers plusieurs médias.

Propos recueillis par Franck Debernardi

 
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