Dieter répond à de nombreuses autres questions dans Faille Temporelle 11. FT : Pourquoi avoir choisi d’écrire pour la bande dessinée ? Dieter : J’ai toujours été un amoureux de la bande dessinée. Que ce soit avec Tintin étant gamin, ou, plus tard, avec (A Suivre), qui ont été mes deux grandes émotions. Je suis venu au scénario un peu par hasard. J’ai connu Jean Léturgie à force de fréquenter les festivals et, un jour, je lui ai dit que j’avais une idée de scénario. Il m’a dit de revenir 15 jours plus tard avec les premières pages. Je suis allé le voir avec les trois premières. On en a discuté. Je suis reparti chez moi, j’ai recommencé ces pages, je suis retourné le voir et ça a duré comme ça pendant un an et demi. Donc, au départ, c’était un peu accidentel. Puis, j’ai rencontré un certain nombre de professionnels dont Marc Malès et ensuite, j’ai multiplié les collaborations, notamment dans la presse. Ça a été, en quelque sorte, un moyen de m’investir dans cette passion, d’aller un peu plus loin. Et la BD reste, encore aujourd’hui, mon support préféré. FT : Ton travail, tu le ressens plus comme un moyen de t’exprimer ou plus dans une tradition populaire du conteur d’histoire ? Dieter : Pour moi, c’est plus une façon de m’exprimer, mais ça dépend aussi de l’histoire. Je me suis plus investi d’un point de vue affectif dans Julien Boisvert ou Névé. Ça évite de se payer une analyse pendant de nombreuses années. C’est une manière d’exprimer ses sentiments, ses émotions, ses pensées. D’autres albums sont plus proches du roman populaire, de toutes les grandes sagas qu’on a pu lire. Trelawnay, par exemple, est un récit de pirates et j’ai relativement peu vécu d’aventures de pirates… ou bien il y a fort longtemps. Dans ce cas, c’est plus le plaisir de raconter qui entre en jeu. En définitive, c’est un peu un mélange des deux. FT : Comment naissent tes histoires ? Dieter : La genèse d’une histoire commence avec la rencontre d’un dessinateur. Si de cette rencontre naît une envie de travailler ensemble, on cherche un terrain commun. A partir de ce moment, j’essaye de construire une histoire pour lui proposer. Dès le début, le dessinateur, ou la dessinatrice, a une importance réelle et, en principe, quand un projet ne fonctionne pas, je n’essaye pas de le “revendre” à quelqu’un d’autre. FT : Une fois l’histoire conçue, tu apportes un travail achevé au dessinateur ou bien celui-ci peut-il intervenir sur le déroulement de ton histoire ? Dieter : Le dessinateur intervient à toutes les étapes. Je pense que c’est important. C’est comme ça que j’ai envie de travailler. On obtient de meilleurs résultats quand le dessinateur s’est vraiment investi dans l’histoire. Il arrive même que l’idée de départ vienne de lui. A partir du moment où l’embryon d’histoire me plaît, je peux m’y investir. Il faut que je trouve ma place. Je suis une sorte d’éponge qui tirerait du dessinateur ses envies pour les absorber et les rejeter, ensuite, à ma manière.
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FT : As-tu déjà envisagé ton travail de “raconteur d’histoire” sans l’apport d’un visuel quelconque ? En clair, as-tu déjà envisagé d’écrire des nouvelles ou un roman ? Dieter : Non. L’écriture de nouvelles ou d’un roman est un tout autre exercice. Le romancier est quelqu’un qui a une plume et qui fait référence à toutes sortes de littératures. Je lis, à la fois pour me documenter et pour mon propre plaisir. Avant tout, j’ai besoin de visuels. Dans ma tête, je ne pense pas “dialogue”, mais “image”. Je pense d’abord à la globalité de la page, les dialogues viennent ensuite. FT : Les dialogues sont primordiaux dans une bande dessinée ? Dieter : C’est l’un des facteurs importants d’une bande dessinée. Il est évident que de mauvais dialogues peuvent démolir un bon découpage. J’essaye de faire en sorte que mes dialogues soient assez simples, clairs et concis pour qu’ils puissent couler, chanter… C’est un curieux mélange. Ce n’est pas de l’écriture, ce n’est pas du langage parlé, c’est une manière un peu particulière de s’exprimer propre à la bande dessinée. Le dialogue n’est pas un exercice facile, mais c’est une source de plaisir. Ceci dit, le découpage ou la construction d’une bonne histoire sont aussi très importants, bien entendu. FT : Plutôt qu’un héros de BD “traditionnel”, Julien Boisvert est l’un des rares personnages imparfaits de la bande dessinée. Une personne comme on en rencontrerait tous les jours dans la vie quotidienne. Il vieillit, mûrit, apprend de ses expériences et de ses désillusions. Pourquoi avoir décidé de prendre ce parti prit ? Dieter : Ce qui nous semblait intéressant, à Michel Plessix et à moi-même, c’était de prendre un personnage à l’adolescence et d’en faire un adulte. De même que Névé passe, lui, de l’enfance à l’adolescence. Ce choix s’est fait en réaction à une certaine tendance de la bande dessinée, du genre Buck Danny, dans laquelle le héros ne vieillit pas, n’a pas de vie de famille et ne pense qu’à ses aventures. Nous avons été un peu influencés par Théodore Poussin de Le Gall qui vivait la même chose. On a eu la chance d’arriver à un moment où ce genre d’histoire n’avait pas été encore exploré. FT : Comment perçois-tu le regard du lecteur de bande dessinée sur ton travail de scénariste ? Dieter : C’est difficile à dire… FT : Par rapport aux personnes que tu rencontres en festival, par exemple. Dieter : J’essaye de ne pas y attacher beaucoup d’importance. Les gens viennent en festival pour rencontrer les auteurs des bouquins qu’ils ont aimé, ou pour avoir une dédicace sur leur livre. Il y a très peu de personnes qui te disent : “J’ai détesté vos albums !” D’un côté, c’est très agréable, mais tu ne peux pas t’empêcher de prendre une certaine distance par rapport à ça. Sinon, tu te dis : “Mon Dieu, je suis Génial !” Je pense que c’est peut-être plus le rôle des copains (je pense à Serge Le Tendre et à David Chauvel) d’apporter une vision critique et objective. L’avis des lecteurs, je le prends avec rétissance et je me fie à mon propre jugement. Quand un album est terminé, j’essaye de voir si j’ai rempli mon contrat par rapport à ce que je voulais raconter ou faire passer. Ça me permet de garder de la distance envers les critiques, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. C’est peut-être aussi une façon de me protéger, mais je pense être plus dur envers moi-même que ne peut l’être le public. FT : On t’a souvent demandé si ton travail consistait à mettre le texte dans les bulles ? Dieter : Bien sûr ! C’est un lieu commun. Ça permet de ne pas se prendre au sérieux. Ce métier est tellement méconnu, hors du milieu de la bande dessinée. On doit être 15 ou 20 personnes qui ne vivent que du scénario en France, mais c’est bien comme ça. FT : Mis à part toi, y a-t-il un point commun entre tous les dessinateurs avec qui tu as travaillé ? Dieter : Ce sont tous des gens talentueux. Je ne dis pas ça pour leur faire plaisir. Ils ne liront peut-être même pas cette interview ! Ils sont très différents dans leur style, dans leur personnalité, dans nos rapports professionnels ou amicaux, mais ils sont tous, à mes yeux, de très bons dessinateurs et des passionnés. Sans être une flatterie de ma part, quand je vois certains de mes amis scénaristes, je me dis que j’ai vraiment de la chance de travailler avec des auteurs de talent. |
FT : Tu te traces une voie dans le monde de la BD ou tu préfères vivre au jour le jour ? Dieter : Tout étant une question de rencontres, je ne sais pas du tout ce que je ferais dans 2 ans, encore moins dans 5 ans. J’ai simplement envie de varier mes “productions”. Je ne me suis pas cantonné dans un genre qui aurait pu être le récit contemporain initiatique, voire contemplatif. Aujourd’hui, je fais des séries plus humoristiques comme Alban, je suis en train de faire un western avec Stéphane Duval pour Delcourt, j’aborde en ce moment la science fiction… Je me rends compte que la diversité, c’est agréable. Ça évite peut-être de sans cesse réécrire la même histoire. En fait, je ne sais pas vraiment ou je vais. Il y a 6 mois, je ne pensais vraiment pas faire du western. FT : Y a-t-il des BD que tu aurais aimé écrire ? Dieter : J’aurais adoré faire ce qu’a fait Serge Le Tendre sur Julius Antoine ou sur La Quête de l’Oiseau du Temps. J’aurais également aimé écrire certaines histoires de Comès comme Silence ou La Belette. Tout ça est lié à l’émotion, la présence des personnages, la surprise qui se dégage de ces histoires. Ces gens-là ont été des précurseurs. Certains scénarios de cinéma, comme celui d’Il Etait Une Fois En Amérique, me laissent sur le cul ! Et à chaque fois que je le vois ! Je me suis amusé à regarder comment il était construit, avec ses flashbacks, la manipulation du temps… C’est impossible à faire en BD, mais ça reste un point de repère, une référence pour continuer. Propos recueillis par Franck Debernardi. |
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