On s’en rend bien compte en se promenant dans les rayons d’une librairie spécialisée, la recrudescence de jeunes dessinateurs virtuoses nous fait perdre la tête quand au choix de nos achats. Un néophyte entrant chez un libraire BD doit certainement être pris de panique à la seule vue des tables de nouveautés. Les deux seules possibilités restantes étant : soit de vider son compte en banque en se faisant un gros plaisir graphique, soit de faire un choix dans cette pléthore de titres disponibles à la vente chaque mois. Il est malheureusement évident qu’un certain nombre de ces nouveautés, même si quelques fois magistralement illustrées, cachent des histoires inconsistantes, sans épaisseur. Si l’on prend en compte le fait que, dans la majorité des cas, les albums d’une série sortent à un intervalle allant de 9 à 12 mois et compte tenu de l’appétit de lecture d’un bédéphile averti, il est souvent inquiétant de s’apercevoir qu’à la sortie d’un tome 2, on n’a aucun souvenir des faits, de l’histoire et même parfois des personnages. Après s’être «fait avoir» une ou deux fois, le lecteur se rendra bien compte que dans une bande dessinée, le scénario est aussi important que l’aspect graphique. Car si l’aspect visuel d’un livre est le détonateur qui nous fera le prendre en main et l’ouvrir, ce qui nous fera nous en souvenir, c’est en grande partie d’avoir lu une bonne histoire, bien construite, originale, dans laquelle on s’implique, qui nous touche particulièrement par les émotions qu’elle nous apporte, les sentiments qu’elle dégage. L’importance du scénariste est donc primordiale. Tout comme l’écriture d’un roman ou celle d’un film, l’écriture d’une bande dessinée est un exercice bien particulier qui ne ressemble à aucun autre et qui est régi par des règles propres au langage de la BD. Alors, comment naît une bande dessinée ? Comment écrit-on un scénario de BD ? Où le travaille du scénariste s’arrête-t-il ? Comment se déroule le travail de collaboration entre un scénariste et un dessinateur ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter d’apporter des réponses.
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Une bande dessinée, c’est tout d’abord une histoire. Sa spécificité étant d’être, en quelque sorte, un croisement entre le cinéma et la littérature dans la mesure où cette histoire est racontée en images, en dialogues et en textes, le tout traduit sur un support de papier. D’ailleurs, la comparaison entre le cinéma et la bande dessinée ne s’arrête bien évidemment pas là et nous pourrions parler du découpage d’une scène, d’angle de prise de vue, de cadrage… mais ce parallèle, même s’il est évident, ne serait-ce que dans les termes (synopsis, scénario, découpage, story-board…) se doit d’être plus subtile. En effet, en bande dessinée, comme au cinéma, le travail du scénariste est de préparer l’histoire, de la rédiger de façon à la rendre digeste pour le lecteur/ spectateur, mais, comme le précise Fred Duval : « En BD, le travail commun entre le dessinateur et le scénariste change en fonction de la personne avec qui l’on travaille, contrairement au cinéma. » Naissance d’une BD La naissance d’une histoire est une chose bien compliquée à expliquer puisque généralement différente à chaque fois. On ne sait jamais comment une histoire se crée, d’où elle va jaillir. Elle peut être sous-jacente à des conversations, elle peut découler d’un rêve, d’un mot, d’une image, d’une simple idée forte ou de l’envie d’aborder un sujet particulier, un thème séduisant ou obsédant. Bien souvent elle est le fruit d’une rencontre La collaboration Que l’histoire soit écrite ou non, dans la majorité des cas, le scénario se construit lors de discussions entre le scénariste et le dessinateur, car si l’on veut une osmose entre les auteurs, une entente et un échange sont primordiaux. En théorie, le travail du scénariste est d’aborder les différents éléments entrant en jeu, à savoir : les personnages, les lieux, l’intrigue, les coups d’éclats et de se charger de les organiser en séquences, en scènes et en dialogues. Le dessinateur lui, joue le rôle du réalisateur et du cameraman. Il va mettre en images ces scènes en jouant sur les angles de prise de vue, les cadrages, la lumière… Tout ceci est, bien évidemment, loin d’être aussi simple. À autant de «cou-ples» scénariste/dessinateur on peut attribuer une manière de travailler et une répartition des tâches différentes. Les discussions de travail entre scénaristes et dessinateurs sont généralement nombreuses, sinon longues et il n’est pas rare qu’un dessinateur apporte son propre découpage d’une scène ou qu’un scénariste définisse avec précision le type de «plan» ou d’angle à attribuer à certaines cases. Aux États Unis, la bande dessinée étant une vraie industrie, il est rare qu’une relation scénariste/dessinateur soit comparable à celles qui peuvent exister en France ou, plus largement, en Europe. Dans bien des cas, le scénariste écrit son histoire, fait son découpage et refile le travail d’exécution à un dessinateur qui est chargé de suivre à la lettre ses indications. C’est pour cette raison que Will Eisner juge que la relation scénariste/dessinateur ne peut fonctionner que si l’auteur est complet, qu’il réalise lui-même le scénario et le dessin. Travail d’écriture Si, comme le pense Philippe Marcelé, l’on considère que «le scénario n’est pas une écriture en soi» mais que «c’est la BD dans son ensemble qui est une écriture», où s’arrête donc le travail du scénariste ? Fred Duval considère que «le travail de scénario s’achève au moment ou le story-board est validé, c’est-à-dire au moment où les deux auteurs sont à même de visualiser (au sens propre du terme) l’album avant “finition“. Le reste du travail à effectuer n’est alors plus que de l’exécution.» |
Relation de «couple» Vous l’aurez compris, définir la tâche de chacun dans une telle collaboration est loin d’être aisé car à chaque «couple» d’auteurs correspond une méthode bien particulière de travail. Dans chaque collaboration se définissent des accords, des limites, des charges de travail, des libertés que chacun fixe en fonction de l’autre. Chaque relation, à la limite de la relation amoureuse, (voire sexuelle, dixit Serge Le Tendre) ne peut, comme dans la vie d’un couple, qu’être unique. On peut donc affirmer, sans trop s’égarer qu’une collaboration scénariste/dessinateur est comparable à une vie de couple dont le fruit serait l’album. Foed |
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